Sculpteur de lumière
Dans le film de Bruno Nuytten "Camille Claudel", l'atelier de Rodin est présenté comme une vaste usine avec ouvriers, ponts roulants et autres machines. Depuis Léonard de Vinci la peinture s'est toujours considérée comme "cosa mentale" - en dépit de son aspect profondément artisanal. Au contraire, la sculpture semblait, de tous les arts, le plus définitivement lié à la matière.
C'est ce que j'ai cru jusqu'à ce que l'informatique me montre la possibilité de travailler la lumière elle-même.
Les nuances et les rythmes de la lumière sont - comme le son - en continuité directe avec les systèmes informatiques qui pilotent enseignes ou spectacles.
L'esthétique si particulière de l'électronique : circuits labyrintiques et composants minuscules est cachée aux regards. Télévision, téléphones pas plus que voitures ne laissent voir les composants qui les animent.
Est-ce pour ne pas nous faire peur ? Les mécanismes minuscules où s'effectuent de fulgurants calculs restent toujours cachés.
Pour mon maître Henri Comby aucun moyen d'expression n'était à exclure.
Mon premier Luchrone de 1978 sera pour moi la grande découverte. Avec les minuscules matériaux électroniques, plus besoin de vastes ateliers ni de marteau frappant le burin. L'électronique s'assemble sur un coin de table et la lumière se compose sur une feuille de papier.Bien sûr, j'étais frustré de travailler le volume de lumière à travers des logiciels.Plus de contact des mains avec le bois, avec la pierre.Mais que de possibilités avec la transparence ! Le vide qui dynamisait les sculptures d'Henry Moore devenait dans mes Luchrones la condition indispensable pour que circule la lumière.La légèreté et la transparence ont comme corollaire la fragilité. Leur taille protège les sculptures monumentales. Pour les pièces originales une vitrine est indispensable. Vitrine où la lumière joue en reflets multiples qui dématérialisent encore le volume.Enfin, le sixième côté d'une sculpture (la base) repose depuis toujours sur un socle. La transprence et la légèreté du Luchrone rendent le socle inutile.Le regard est libre de choisir son point de vue : dans toutes mes sculptures le sixième côté de la vitrine - le fantôme du socle - est, pour cette raison, soit transparent soit un miroir.
J'ai toujours aimé détourner les objets de leur usage courant. A l’Institut d’art d’Aix-en-Provence j’admirais le vieux Marcel Duchamp qui voulait, dès 1910, se dégager de la «tyrannie de la peinture». Ailleurs Marce affirmait que «le plaisir n’a pas sa place dans l’art». Ses nombreux imitateurs actuels rejettent aussi le savoir-faire et proclament plus ou moins la mort de l’art. Pas de plaisir, pas de technique, et en plus l’art est mort. Pourquoi être artiste ?
«Jamais un coup de dé n’abolira le hasard» Série Electronique Amère - 2003 collection privée
Le hasard est un grand maître. En 1980, il m’orienta vers une société de microinformatique puis vers une société de développement de logiciels. Là j'ai découvert des domaines de création inexplorés. Le petit nombre d’artistes qui passaient les portes des entreprises informatiques dans les années 80 n’étaient intéressés que par l’utilisation graphique des machines. L’informatique en soi leur paraissait aussi peu excitante que sa couleur beige. Pouvait-on utiliser autrement cette nouvelle technique ?
Icosaedre - 2006 (31 x 31 x 36 cm)
A l’initiative de Fernand Braudel, la Maison des Sciences de l’Homme accueille en 1984 ma première exposition de Luchrones : des sculptures légères, fondées sur le temps et la lumière. Les composants électroniques, la structure même des circuits logiques, sont à l’origine de la forme et des éclats lumineux qui parcourent l’enlacement des fils de métal.
Sculpteur dans la ville
C’est l’art public qui m’occupe dans les années suivantes. En 1986, Charlie, le premier Luchrone monumental s’allume à Bourges où il brille toujours. Trois ans plus tard la ville de Reims me commande la Coquille. Je change d’échelle. Ces oeuvres font de quatre à six mètres de haut. Je peux même me déplacer à l’intérieur !
De lumière en lumière, il y a bien longtemps que je regarde celle des étoiles. Une passion pour l’astronomie qui me tient depuis l’enfance. Habitué désormais aux grands formats, c’est à une échelle de 4 mètres de diamètre que je réalise les Astrolabes de Val de Reuil (1990), Reims (1991) et Paris (1997). Et je fais la connaissance d’astronomes, personnages qui vivent, comme les artistes en marge du monde, loin de la dictature de la consommation obligatoire.
Mais après ces quelques années passées sur des projets assez lourds, j’ai eu envie de renouer avec la légèreté et l’inventivité des Luchrones…
Alain Le Boucher
Astrolabe de Reims - 1991 (diamètre : 4 m)
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